A une époque où la donnée client est un enjeu vital des entreprises, les programmes de fidélité ont un rôle central à jouer
Si la fin des programmes de fidélité est annoncée régulièrement depuis des années, c’est que le concept de programme de fidélité n’est pas nouveau (le premier programme de fidélité majeur a été créé en 1981). Pour paraître moderne, ce levier marketing doit régulièrement se réinventer : dématérialisation des cartes de fidélité, digitalisation de l’expérience client, meilleure exploitation des données clients, voici autant de challenges pour maintenir les programmes de fidélité en phase avec les usages, les attentes même, et les possibilités technologiques offertes au marketing.
Si les programmes de fidélité ne sont pas un nouveau levier marketing, loin de là, n’ont-ils pas largement évolué ?
A une époque où la donnée client est un enjeu vital des entreprises, les programmes de fidélité n’ont-ils pas, au contraire, un rôle central à jouer ?
1. La question du ROI est centrale dans la légitimité des programmes de fidélité
Miser sur la “vraie” fidélité plutôt que la fidélité “opportuniste”. Les études montrent que les programmes de fidélité essentiellement “transactionnels”, c’est-à-dire offrant des avantages économiques en contrepartie d’achats effectués, nourrissent une fidélité opportuniste. Les clients qui adhèrent à ces programmes peuvent même s’avérer “multi-fidèles” (fidèles à plusieurs enseignes concurrentes) tant qu’ils en retirent un avantage économique.
En 2018, Décathlon a justifié la fin de son programme de fidélité par son coût. En effet, si le coût d’un programme de fidélité est la raison de sa remise en cause, c’est bien que le ROI est central.
Il est normal d’investir dans la fidélisation des clients, de même qu’une entreprise investit dans l’acquisition de nouveaux clients. Mais cet investissement doit être justifié par un ROI significativement positif.
2. Les programmes de fidélité ont changé de forme ces dernières années, et ils vont continuer à le faire
2.a. Une expérience de plus en plus digitale et sans couture
Les programmes de fidélité ont d’abord commencé à évoluer dans les années 2000, dans certains secteurs, pour digitaliser l’expérience client. Les usages de plus en plus tournés vers le web ont amené de nombreuses marques à dédier un site ou un espace web à la fidélisation clients, afin de donner un accès direct aux informations personnelles, statuts, points, et historique.
Pour autant, de nombreuses marques ont longtemps conservé une carte de fidélité physique, continuant à entretenir une grande frustration des utilisateurs : celle de devoir conserver sur eux des dizaines de cartes, au risque de ne pas les retrouver.
C’est alors que s’est produit une deuxième révolution, grâce à l’augmentation de l’usage du web mobile à la fin des années 2000 et au début des années 2010 : la dématérialisation des cartes de fidélité a vu le jour. Ces cartes ont été remplacées par des applications mobiles, et le cas le plus emblématique est celui du programme de Starbucks. Puis, depuis 2018, elles sont remplacées (très progressivement) par des cartes enregistrées dans les wallets mobiles Apple Wallet et Google Pay. Cette évolution a permis de faire le lien entre les points de vente et l’espace de connexion des clients, en rendant possible l’identification des clients en caisse.
Aperçu de l’application du programme “Rewards” de Starbucks
Parallèlement, dans certains secteurs, d’autres technologies ont favorisé l’identification des utilisateurs dans des lieux physiques, et notamment grâce à la RFID, très utilisée dans les lieux de spectacles.
Ces technologies d’identification des clients sont souvent liées à un système de paiement, permettant ainsi de fluidifier encore un peu plus l’expérience du client.
2.b. Des programmes de fidélité de plus en plus relationnels et serviciels
Au-delà du support et des technologies utilisées, les marques ont surtout fait évoluer leurs programmes de fidélité pour leur donner plus de sens que la simple récompense des achats et de la fidélité dite “transactionnelle”. Pour réellement contribuer à renforcer la relation avec leurs clients, les marques ont compris que les programmes de fidélité devaient apporter une autre valeur que la seule incitation économique.
Ainsi, les entreprises, en gagnant en maturité en termes de stratégie de fidélisation, ont progressivement intégré d’autres logiques : statuts client donnant accès à des privilèges non monétisables, récompense de l’engagement envers la marque, création d’un lien entre les clients et fans de la marque avec une plateforme communautaire, enrichissement de l’expérience client via le programme (contenus, co-création, événements…).
Certaines marques, à l’instar de Nike ont réussi le pari du programme relationnel, en créant de réels systèmes de fidélisation centrés sur l’expérience client. Ainsi, avec son programme Nike Run Club, la marque engage les internautes à travers une application mobile, proposant de nombreux services à valeur ajoutée.
Aperçu de l'application Nike Run Club
Il est également intéressant de noter que si Décathlon a déclaré supprimer son programme de fidélité, la marque a pourtant gardé un système de compte client avec carte (physique et sur wallet mobile), afin de continuer à proposer des avantages, services et contenus aux clients.
Aperçu de la présentation de la carte Décathlon dans le programme actuel
3. Les programmes de fidélité sont devenus des programmes de relation client au sens large
3.a. La data au service des programmes relationnels
Si le terme de “programme relationnel” n’est pas nouveau, on peut dire que les traditionnels programmes de fidélité sont réellement devenus des programmes relationnels ces dernières années, grâce à l’apport de nouvelles technologies et l’évolution progressive des systèmes d’exploitation des données clients et du savoir-faire en marketing data-driven.
D’abord, l’expérience de fidélisation du client est réellement devenue multicanale chez de nombreuses marques. Pour cela, les marques ont dû souvent revoir leurs systèmes de données pour créer une plateforme de gestion de données client unique (un Référentiel Client Unique, ou RCU) et connecter et unifier les systèmes de gestion de l’ensemble des points de vente et du service client. Ce chantier est souvent encore en cours pour de nombreuses entreprises à l’aube des années 2020.
Ensuite, l’exploitation du mobile pour identifier les clients, grâce à un site web responsive, une application ou les wallets mobiles, s’est généralisée, et le client peut donc être reconnu à tous les points de contact physiques.
3.b. Du contenu digital et personnalisé pour créer du lien entre les consommateurs et la marque
Concrètement, la création d’un compte client digital est devenu un enjeu clé pour de nombreuses marques. Se créer un compte pour utiliser une application mobile de service, commander sur un site web, ou encore suivre sa consommation d’énergie (usage réellement installé depuis le milieu des années 2000) paraît indispensable. En revanche, créer un compte n’est pas si évident dans d’autres contextes, qu’il s’agisse d’acheter une voiture, un appartement, ou de faire du shopping. Ainsi, les marques ont dû construire une promesse de bénéfice claire et tangible pour motiver leurs clients à s’inscrire et à se “connecter” à la marque. Le “compte client”, support du programme de fidélité, devient ainsi le lien direct entre le client et la marque, en proposant des services ayant une valeur immédiatement perceptible et des contenus personnalisés.
Les nouveaux dispositifs de fidélisation sont alors basés sur des espaces connectés et une animation personnalisée de la communication client, comprenant notamment :
- des accès à des services réservés aux contacts enregistrés (ex: retours produits, paiement en plusieurs fois, etc.)
- la traçabilité des échanges, et l’accès à une hotline client mieux informée
- la gestion des consentements client
- la personnalisation des préférences et des contenus
- la collecte d’avis ou de retours d’expérience
La marque de sport Reebok a ainsi créé « Unlocked » un programme de fidélisation à points, et encourage les interactions des internautes avec la marque via différents canaux. Les membres bénéficient de nombreuses récompenses en fonction de leurs actions : livraison gratuite, invitation à des événements, coaching personnalisés, etc.
De la même manière, Etam, enseigne de prêt-à-porter internationale innove dans le monde de la fidélisation en retail avec son programme Etam connect. L’enseigne propose des « expériences originales (conseils personnalisés, ateliers de personnalisation …) en rétribution des points accumulés.
Ainsi, l’annonce de la fin des programmes de fidélité revient régulièrement, mais elle est fondée sur une perception erronée : celle que les programmes de fidélité ne sont que des mécanismes de récompense des achats, et donc des systèmes de promotion pour les clients. Or, c’est de moins en moins le cas : les programmes de fidélité actionnent de plus en plus de leviers ayant un impact sur les ressorts profonds de la fidélisation clients, à savoir l’expérience client, le sentiment d’être reconnu et le lien affinitaire avec les marques.