Les "emotional analytics", c'est-à-dire les outils permettant la captation, l'interprétation et l'analyse des émotions, sont un champ d'innovation en forte croissance. Si l'émotion est un facteur clé en fidélisation, qu'en est-il des possibilités d'application concrètes des "emotional analytics" ?
Les emotional analytics : un champ d’innovation considérable et un marché en forte croissance
Qu’est-ce précisément que les emotional analytics ?
Les "emotional analytics" sont l’interprétation et l'analyse des émotions humaines à partir de données pouvant être captées et digitalisées : des sondages, des expressions et conversations textuelles, des expressions et conversations vocales, ou encore l’expression du visage.
Cette analyse des émotions suppose donc deux conditions :
- que les émotions soient traduites en données structurées et exploitables,
- que ces données puissent être interprétées et rendues utiles pour une application donnée (ici, nous parlerons d’application en marketing, et plus précisément en fidélisation).
Une évolution considérable dans les années 2010
Si le terme “emotional analytics” est de plus en plus utilisé, il est proche de nombreux autres concepts comme “emotion recognition” et “sentiment analysis”, et l’idée n’est donc pas complètement neuve. Le développement de Twitter a ouvert dès 2006 un champ d’exploration à grande échelle en permettant l’analyse d’un très grand volume d’opinions exprimées en ligne dans des formes très brèves.
Aujourd’hui, le marché global des emotional analytics est évalué à 11,5 Mds $ et devrait atteindre 25,3 Mds $ d’ici 2023 (1).
Cependant, les champs d’application sont vastes, et probablement d’abord dans des secteurs comme la médecine, l’éducation, la défense, les interfaces et outils digitaux… Le marketing sera l’un des champs d’application, mais il reste à définir exactement les cas d’usage et le cadre juridique.
Synthèse de l’étude de marché Technavio 2019
Les GAFAM sont bien sûr en première ligne dans les innovations au sujet de l’exploitation des émotions humaines. D’ailleurs, pour son assistant Alexa, Amazon s’intéresse non seulement à la détection des émotions des utilisateurs, mais cherche aussi à injecter de l’émotion dans l’expression de l’assistant vocal, pour le rendre plus humain…
Applications des emotional analytics en marketing : un illusion ou de réelles perspectives ?
Corrélation nette entre émotion et fidélité
Comme nous le montrions dans cet article, la dimension émotionnelle des individus est devenu centrale dans les stratégies de fidélisation des marques. Une étude datant de 2016 de Temkin Group (désormais Qualtrics XM institute) a montré que les individus sont 7,8 fois plus susceptibles d’essayer un nouveau produit ou service et 7,1 fois plus susceptibles à d’acheter davantage s’ils ont une émotion positive vis-à-vis d’une marque.
Les individus sont 7,8 fois plus susceptibles d’essayer un nouveau produit ou service et 7,1 fois plus susceptibles à d’acheter davantage s’ils ont une émotion positive vis-à-vis d’une marque (2).
Pour autant, le traitement des émotions comme données et leur intégration dans un dispositif structuré de personnalisation reste aujourd’hui un chantier d’exploration pour la plupart des marques, et peu de cas réellement aboutis existent. En fait, on se trouve encore dans une phase où l’émotion est traitée plus empiriquement, avec une approche UX basée sur des méthodes de “design thinking” (basées à la fois sur l’intuition et les retours d’utilisateurs finaux).
L’analyse des sentiments est une première étape
Cependant, l’analyse des sentiments (ou “opinion mining”) fait déjà partie des outils exploités en marketing depuis plusieurs années. Les sondages proposés lors de moments clés sur un site ou par email permettent déjà de collecter des données sur les sentiments ressentis par les utilisateurs lors de leurs interactions avec la marque ou un service de la marque. Mais ces dispositifs ont des limites évidentes :
les réponses sont déclaratives, donc biaisées : tous les individus ne répondent pas (surtout pour indiquer un avis neutre), et les réponses n’expriment pas directement le sentiment réel
le volume de données et leur complexité sont très limités
Un autre cas d’usage de l’analyse des sentiments existe en marketing, depuis l’émergence des réseaux sociaux vers 2007 : le “social listening” et l’analyse de réputation des marques, avec des outils comme Brandwatch. La limite de ces dispositifs, bien entendu, est l’impossibilité de les relier efficacement à la donnée CRM, et à individualiser l’analyse.
Malgré ces limites, il est déjà possible de collecter des données sur les sentiments exprimés par les clients depuis différentes sources : service client au sens large (live chat, call center, email), avis produit, forums… La question alors est celle des solutions permettant d’analyser cette donnée riche et non structurée, afin de mettre en oeuvre des applications concrètes.
La gestion de la relation client et la rétention : une première application des technologies d’IA
Certains, comme Chris Jonsthon (fondateur d’Adoreboard) dans cet article, distinguent l’analyse des sentiments de l’analyse des émotions, plus complexe en variété et intensité. Au-delà de cette distinction, on peut aussi faire une différence entre les sentiments d’appréciation exprimés consciemment et les émotions ressenties mais pas toujours exprimées consciemment, ce qui rend le travail de collecte et d’analyse plus complexe.
Des intelligences artificielles ont déjà permis des avancées importantes dans l’analyse des émotions, avec un premier champ d’application en marketing : la gestion relation client, et par extension les dispositifs de rétention client. Ainsi, plusieurs technologies déjà opérationnelles permettent de décrypter et analyser les émotions lors d’échanges entre un client et un opérateur du service client.
La startup Neuraswitch a ainsi développé ConnexionCX, une plateforme d’analyse émotionnelle, en travaillant directement avec Salesforce. Cette plateforme s’intègre nativement dans le Service Cloud via Salesforce AppExchange.
Autre exemple, celui d’Allomedia, présent déjà depuis plusieurs années dans le secteur du tracking d’appels téléphoniques, et qui a développé la solution The Scribr. Cette solution est orientée pour répondre à plusieurs cas d’usage, aussi bien en avant-vente qu’en après-vente : détecter le niveau d’engagement d’un prospect ou client, anticiper les risques et menaces de churn, mesurer l’effort client, mesurer la satisfaction client, ou encore repérer la fraude.
D’autres champs d’application pour l’analyse des émotions “visuelles”
D’autres technologies se basent sur l’analyse de la vidéo en temps réel afin de détecter des émotions. Ces solutions peuvent être appliquées dans un espace physique ou à l’utilisation d’une interface digitale comme un ordinateur. Les champs d’application marketing sont assez variés, mais doivent naturellement respecter les principes de protection de la vie privée. Ainsi, les premiers cas d’usage sont surtout orientés sur des tests auprès de panels, pour mieux comprendre les comportements des individus et l’expérience client réellement vécue. C’est ce que propose la start-up Datakalab, qui a travaillé notamment avec TF1 pour optimiser la pression publicitaire, ou encore avec l’enseigne Eram pour comprendre les parcours d’achat sur le site e-commerce et mieux référencer les produits et cibler les utilisateurs.
(1) Emotion Analytics Market by Application and Geography - Global Forecast and Analysis 2019-2023
(2) Qualtrics XM Institute, The (Large) Connection Between Emotion and Loyalty